Quelques questions à Aude Samama à propos de Martin Eden (éditions Futuropolis - 2016):


Quelques questions à Aude Samama à propos de Martin Eden (éditions Futuropolis - 2016):

"Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir".
C'est par cette simple phrase que se termine l'un des plus beaux romans de Jack London: Martin Eden . Cet ouvrage important pour tout admirateur de l'écrivain est aujourd'hui adapté en bande dessinée par Aude Samama et Denis Lapière. Si adapter un tel monument peut légitimement éveiller l'inquiétude pour le lecteur passionné du livre publié en 1909, le fait que cette relecture soit l'oeuvre des deux auteurs nous ayant déjà offert deux magnifiques ouvrages en commun ne peut que nous rassurer. On se souvient avec enthousiasme d' Amato (d'après Olalla de Robert Louis Stevenson) en 2009, suivi d' A l'ombre de la gloire en 2012 (la bouleversante biographie de Young Perez et Mireille Balin). Chacune de ces propositions maintenait un délicat équilibre entre la justesse du propos et leur grande beauté visuelle. Martin Eden se présente comme un nouveau jalon dans leur oeuvre commune, dans laquelle ils s'approprient pleinement le texte de Jack London, tout en nous offrant un récit captivant et totalement incarné. A la force narrative du récit, Aude Samama y ajoute l'exploration d'une dimension inédite: celle du sensoriel.

C'est avec une grande générosité, et gentillesse, qu'Aude Samama a accepté de répondre à nos questions.




1° Vous aviez proposé une adaptation d'un roman en bande dessinée avec Amato (d'après Olalla de Robert Louis Stevenson) en 2009, en collaboration déjà avec Denis Lapière. A qui doit on, de vous deux, le désir d'adapter ce monument qu'est le Martin Eden de Jack London? Quels sont les éléments qui ont fait que c'est ce livre que vous souhaitiez adapter?

Denis a tout de suite été emballé quand je lui ai parlé de ce roman, Martin Eden m'était resté en tête après l'avoir lu quelques années auparavant. C'est un récit qui marque la plupart des gens qui l'ont lu, il parle d'un absolu, Martin dont la vie ressemble beaucoup à celle de Jack London même s'il s'en défend, est quelqu'un de très entier, qui a soif d'idéal. Il perd ses illusions à la fin du récit, la réalité le rattrape. C'est un roman qui touche des thèmes universels.


2° Dans ces albums "d'adaptation du récit" réalisés avec Denis Lapière au "récit", comment se passe le partage des tâches? Découpez-vous le roman en séquences de manière commune ou votre travail démarre-t-il lorsque le travail d'adaptation du texte est terminé?

C'est Denis qui s'occupe du découpage qu'il effectue et m'envoie au fur et à mesure de mon avancée. Je lui propose des storyboards par internet, c'est une mise en place que je fais directement à l'acrylique sur les planches finales. S'il y a des choses à revoir, on en discute ensuite sur skype.


3° Il me semble que livre après livre, et ce même si votre "style" est immédiatement identifiable, la couleur accède à une plus grande autonomie. Non seulement les cernes noirs me semblent progressivement disparaitre, mais les couleurs s'y allient avec de plus en plus d'élégance et de liberté. Etes- vous d'accord avec cette sensation? Est-ce une volonté consciente de votre part? Pouvez-vous nous parler de la technique employée, mais aussi de ce qu'elle éveille en vous comme désir, comme but?
Oui, je suis d'accord et je suis heureuse que cela puisse se ressentir. J'ai commencé un travail de peinture à l'huile sur toile en parallèle de la bande dessinée et de l'illustration. Il me semble que cela m'a permis de supprimer progressivement cette cerne noir, mais c'est quelque chose qui s'est fait tout seul, je ne l'ai pas forcément décidé. Je ressens aussi un plus grand besoin d'ouverture et de respiration dans mon travail. Aujourd'hui, je cherche une fluidité, un apaisement à travers la peinture.


4° Un des principaux écueils de la bande dessinée "picturale" est de n'offrir qu'une succession d'images (aussi belles soient elles) à contempler, loin des spécificités même du médium bande dessinée. Vous réussissez vous à conserver cette fluidité dans la lecture. On ne s'arrête pas à une case (même si on l'admire). L'image sert toujours la planche dans laquelle elle s'inscrit. A ce titre, la page 100, sans texte, est magnifique. Comment se déroule la conception puis la réalisation d'une de vos planches? En quoi cela se distingue-t-il de votre travail d'illustration (voir le somptueux La case de l'oncle Tom éditions Glénat- 2012)?
Merci ! Je m'attarde moins sur une page de bande dessinée que sur mes illustrations pour éviter justement de perdre la fluidité du récit. Je passe environ trois jours par planche, sur un format A3. Je travaille en général sur plusieurs pages en même temps

Je ne fais pas de crayonné et suis plus à l'aise en travaillant directement avec des masses de couleur.


5° Qu'est ce qui vous a donné envie de faire ce métier d'auteure de bandes dessinées? Parmi vos influences, ou admirations récentes, trouve-t-on des auteurs de bandes dessinées, des illustrateurs, des peintres? Pouvez-vous nous en citer quelques uns?

Ma mère m'avait inscrite à un cours de bande dessinée à l'âge de 12 ans, ça m'a beaucoup plu, j'ai donc continué. Petit à petit, il est devenu clair que je voulais en faire mon métier.

J'aime beaucoup le travail de Gérard Dubois et Pierre Mornet parmi les illustrateurs contemporains. Je me suis toujours intéressé aux peintres, mes influences varient en fonction des projets que je réalise, pour Martin Eden, Vilhelm Hammershoi a été source d'inspiration, Hopper me plait toujours, j'ai aussi beaucoup aimé les fauves mais les regarde moins maintenant. en bande dessinée, j'aime le travail d'Adrian Tomine, Thierry Murat, Götting, Loustal... La liste est trop longue !

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