Délirium – Philippe Druillet avec David Alliot – éditions Les Arènes – 2013.


Délirium – Philippe Druillet avec David Alliot – éditions Les Arènes – 2013.


Avec Délirium, Philippe Druillet se raconte de sa naissance à nos jours. L'ouvrage démarre abruptement par l'évocation de ses parents dans la France occupée, miliciens convaincus dont le zèle gênait jusqu'au gouvernement de Vichy. Dès sa naissance en 1944, son prénom «Philippe» lui est attribué en hommage à Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy. Puis vient le temps de la fuite de la famille à Sigmaringen où l'écrivain-médecin Céline soigne le nouveau né...autant de «révélations» qui à elles seules peuvent éveiller la curiosité du lecteur.
Il serait dommageable cependant de réduire cet ouvrage à ce terrible drame initial. Tout d'abord parce que Philippe Druillet est un auteur marquant de l'histoire de la bande dessinée et que sa biographie doit se lire à la lumière de son œuvre. Bien souvent lorsque l'on pense à cet auteur, on évoque la manière dont il a fait «exploser» les cases de la bande dessinée. Avec Philippe Druillet, les cases devenaient pleines planches -voire doubles planches dans des originaux au format grand aigle fourmillant de détails- les contours des cases échappaient à leur rôle pour devenir véritables motifs d'ornementation...parfois au détriment de la lecture lorsque l'on devait tourner physiquement l'album afin de parvenir à suivre le récit. Au delà de ces innovations formelles l'immense originalité du travail de Druillet -en cela sans doute son travail reste-t-il unique, sans descendance- c'est son trait griffé, esquissé, organique, mouvant et la noirceur de ses sujets. Pour ceux qui auraient oublié la violence et la grandeur de Druillet il faut se replonger dans Vuzz, Urm le fou ...et La Nuit bien sûr. Ce dernier -véritable classique à la force et à la beauté toujours intacte- est l'occasion des plus belle pages de ce livre confession. L'auteur revient alors sur la mort de Nicole sa première femme décédée suite à un cancer à l'âge de trente ans et la plongée dans l'obscurité qui s'en suivit. Si l'histoire était connue (de par l'obsessionnel La Nuit et sa terrible préface) elle nous est aujourd'hui par un autre médium avec une force toujours intacte. «Je ne dors pas. Je mets la musique à fond. Je hurle de douleur. Je deviens fou». Plus loin les pages concernant le couple Gilberte et René Goscinny sont traversées d'une estimable bienveillance. Toute aussi riches sont les pages concernant la création de Métal Hurlant, l'évocation de sa passion pour la science-fiction, les inclinations du cinéma pour son œuvre, les piques amicales adressées à Jean Giraud/Moebius...
Dans la préface de son dernier album, à ce jour, Délirius 2 l'auteur évoquait les méandres de la création de cet ouvrage entamé en 1987 et publié en 2012: «Peut-être la bande dessinée qui fut la plus longue à construire Pris plein la gueule, j'ai tenu. Pardonnez à l'artiste d'avoir une âme et un cœur encore aujourd'hui». Ces mémoires, complément appréciable au travail de Philippe Druillet, ne cessent de provoquer le désir de se replonger dans ses albums et d'en apprécier toute l'intensité.

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