Quelques questions à Etienne Davodeau concernant le réjouissant Le chien qui louche, éditions Futuropolis – 2013.


Quelques questions à Etienne Davodeau concernant le réjouissant Le chien qui louche, éditions Futuropolis – 2013.


Depuis 1992, Etienne Davodeau nous propose des albums généreux, empreint d'humilité et d'engagement dont la narration à l'apparente simplicité ne cesse de nous enchanter. Autant d'albums que l'on a envie de prêter, de faire circuler tant ce que l'auteur nous raconte nous laisse à penser qu'une solidarité entre les gens n'est pas qu'illusoire.
Le dernier album de Davodeau intitulé Le chien qui louche vient de paraître et s'inscrit dans une collection en coédition entre les éditions Futuropolis et les éditions du Louvre. Dans ce nouvel opus l'auteur parvient une fois de plus à exprimer toute son humanité, son humour et la singularité de son œuvre.
De ce plaisir de lecture est née l'envie de poser quelques questions à Etienne Davodeau afin non seulement de découvrir les «dessous» de ce nouvel album, mais également d'aborder l'aventure des Ignorants, ses projets...
C'est avec une grande générosité que l'auteur a accepté cette demande en nous fixant un rendez-vous téléphonique. Et c'est donc avec une grande joie que nous vous proposons l'intégralité de la retranscription de cette conversation qui a eu lieu le 21 Novembre 2013.





1- Votre nouvel album Le chien qui louche est le 9ème album de la coédition Louvre/Futuropolis. Vous succédez ainsi à Nicolas de Crécy, Marc-Antoine Mathieu, Liberge, Yslaire, Araki, Durieux, Prudhomme et Bilal. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet? Existe-t-il des contraintes, un cahier des charges ? Cette «invitation» vous a-t-elle permis de découvrir un Louvre que vous n'imaginiez pas?


Pour moi, ce n'est très clairement pas un travail de commande contrairement à ce que je peux lire parfois dans les articles concernant mon livre. C'est moi qui ai voulu participer à cette aventure, et ça dès le jour où j'ai lu le tout premier livre de cette collection, celui de Nicolas de Crecy. Au départ, les éditions du Louvre et les éditions Futuropolis ont entamé cette collaboration en envisageant un livre chaque année. Quand j'ai dit que je voulais participer à la chose, il y avait déjà plusieurs livres prévus. Ça m'a permis de réaliser Lulu femme nue et Les ignorants qui étaient déjà en chantier, et puis j'ai pu enfin prendre mon tour (en quelque sorte) il y a deux ans. Les contraintes sont extrêmement simples car il n' y en a qu'une : faites de la bande dessinée au Louvre. C'est absolument une carte blanche. Et si ça n'était pas une carte blanche, ça aurait été sans moi, puisque j'ai besoin de latitude et de liberté quand je fais un livre. Je me suis quasiment empêché de penser à cet album à l'avance. J'étais de toute façon occupé par mes livres précédents. Je lisais avec intérêt les autres livres publiés dans cette collection. Je me suis mis à réfléchir au récit lui-même sur place. En fait, la chose plaisante qui m'a attiré, c'est que pour faire ce livre on vous donne un badge annuel qui est une sorte de laissez-passer absolu. On peut aller où on veut quand on veut au Louvre, il n'y a pas de restriction. On peut aller dans les salles fermées, ou même le mardi quand c'est fermé... J'y ai passé une nuit par exemple. Donc l'idée que nous propose le musée du Louvre, c'est de vous donner un vrai accès total au musée pour qu'on s'en imprègne et qu'on s'imagine une histoire. Moi j'ai beaucoup déambulé comme ça quelques jours en regardant ce qui se passait, et puis l'histoire est venue progressivement.

2- Le tour de force de votre album est de faire de cette contrainte -parler du Louvre- un nouvel et bel album de Davodeau. Dès la première planche, vous prenez le contre-pied du projet en nous faisant prendre un bus à l'arrêt «Musée du Louvre» qui nous emmène à la campagne, près d'Angers. Plus loin, dans des planches muettes, vous nous faites passer de la Victoire de Samothrace à la foule qui l'entoure. Puis une sculpture du Louvre représentant une femme de dos en marbre évoque six pages plus loin la nudité et la beauté de Mathilde (un des personnages principaux de la BD). Une confusion entre art et quotidien qui se marie joyeusement lorsque Joseph, le frère de Mathilde, s'installe comme dans sa baignoire dans le bassin de Luigi Valadier de la salle du manège du Louvre. Pouvez-vous nous raconter avec quelles intentions vous avez abordé cet album?

Une des premières motivations qui m'est apparue, c'est que devant le côté très institutionnel, officiel, un peu monumental du Louvre, l'idée d'un contre-pied m'est venue assez vite. C'est-à-dire installer au Louvre une comédie un peu loufoque. Je suis parti là-dessus très vite. Cette première planche où le personnage quitte son boulot, l'endroit où on va passer une grande partie du livre, est un peu un signal. Ensuite m'est venue l'idée d'un cambriolage au Louvre, mais un cambriolage à l'envers. Qu'est-ce qui se passerait si au lieu de voler, d'extraire, une toile du Louvre, on essayait d'en imposer, d'en importer une ? Dans un second temps, comme je passais pas mal de temps sur place, je me suis intéressé aux surveillants. Qui sont ces gens qui ont un métier très singulier puisqu'ils passent 8 heures par jour dans un des plus beaux endroits du monde, ils voient passer devant eux des millions de personnes par an venus du monde entier ? Et, on ne les voit pas. Ils sont invisibles. Personne ne leur parle, personne ne les regarde. On passe devant eux, parfois à quelques centimètres, sans leur adresser la parole. Alors j'ai commencé à leur poser des questions sur leur façon de travailler, leur relation à cet endroit particulier, aux œuvres, au public. J'ai demandé aux gens des éditions du Louvre si je pouvais interviewer une quinzaine de surveillants que j'ai rencontrés dans un bureau, ceux qui voulaient bien venir me voir, qui en avaient envie tout simplement. Certains d'entre eux étaient déjà mes lecteurs donc cela facilitait le contact. De ces quinze rencontres, j'ai récupéré pas mal de notes qui concernent la vie quotidienne des surveillants. Après ça, j'ai demandé à pouvoir passer quelques jours avec eux, c'est-à-dire passer la journée complète de l'ouverture jusqu'à la fermeture, en passant par leur pause, les vestiaires, le réfectoire... comprendre comment s'organise la vie d'un surveillant. Et puis au final l'un d'entre eux est devenu un peu mon référent sur place. Yves est devenu le gars que je harcelais au téléphone quand je dessinais sur une planche et que je me demandais si un surveillant pouvait faire ça ou pas. Au final, même si c'est une fiction, il y a une partie documentaire sur ce qui concerne la vie des surveillants. J'espère, je crois, avoir compris à leur réaction que je n'ai pas trop dit de bêtises sur leur façon de travailler et leur conception du métier. Je sais qu'ils ont reçu le livre, puisque j'ai demandé à ce qu'ils le reçoivent tous dès parution, et pour l'instant je n'ai pas de réponse de tout le monde mais ça semble ne pas les mettre en colère!


3- Un des éléments les plus admirables de vos albums, et qui est pour moi une de vos marques de fabrique, c'est le réalisme de chacun des personnages, la façon dont ils sont campés en quelques traits, quelques dialogues, et la manière dont ils enrichissent et s'imbriquent dans un scénario plus global. On a l'impression qu'il n'y a aucun personnage secondaire. Tout ceci paraît être réalisé avec énormément d'aisance, avec une «apparente facilité», loin d'une quelconque démonstration graphique ou narrative. Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous construisez vos albums afin de parvenir à cette efficacité?


La réponse est difficile, d'autant plus que ma position sur le sujet évolue en ce moment. J'ai longtemps pratiqué le scénario de façon assez traditionnelle, c'est-à-dire écrire un scénario, puis le mettre en bande dessinée... et puis il y a eu Les ignorants. Les ignorants, c'est une espèce de jeu un peu idiot qui consiste à proposer un livre à un éditeur sans scénario, ni découpage, ni synopsis, simplement en lui disant : « Je vais bosser un an et demi avec un vigneron. Il ne connaît rien à la bande dessinée, je ne connais rien au vin. Il va m'apprendre en quoi consiste son métier, je vais lui faire découvrir le mien. Je ne sais pas ce qui va se passer. On verra bien ! » Ça, c'est le principe décrit de façon orale à mes éditeurs de chez Futuropolis et je leur ai dit : « Si vous voulez faire le livre, on signe un contrat, mais je ne vous donnerai rien de plus à l'avance. Il ne m'arrivera peut-être rien et auquel cas ça sera pourri mais la seule façon de voir c'est d'y aller. » Et c'est une expérience qui m'a beaucoup intéressé de beaucoup de points de vue. J'ai appris beaucoup de choses sur le vin. On s'est beaucoup baladé, bien amusé... J'ai aussi appris beaucoup de choses sur les vertiges de l'écriture improvisée en permanence. Au sortir de ce livre là, revenir à un scénario écrit à l'avance me semblait tout simplement impossible. Je crois que suis grillé à vie sur ce plan là. Pour Le chien qui louche, j'étais incapable d'écrire tout à l'avance puis de le dessiner ensuite. J'ai mis en place les principaux personnages, globalement l'intrigue et puis je me suis lancé un peu à l'improviste. Moins que dans Les ignorants mais quand même un peu. Pour répondre concrètement à votre question, plus je fais des livres et moins je les écris à l'avance, et plus je laisse les choses venir «à l'arrache», comme ça, quitte à être piégé, à devoir faire demi tour, à être bloqué parfois quinze jours parce que je ne sais pas comment je vais raccrocher le wagon ensuite. C'est comme cela que j'aime bosser maintenant. Les personnages, eux, indépendamment des péripéties, je leur assigne la tâche de devenir indépendants de moi. Au début, je les tracte dans le récit. Je leur dis « tu vas là », « tu fais ça ». Au bout de quelques temps, une dizaine de pages, ils sont à côté de moi, on marche côte à côte. Et puis, à la fin du récit, j'ai l'impression de les suivre. Ils ont acquis une espèce d'autonomie narrative qui fait qu'ils ont des choses à faire et moi je regarde ce qu'ils font et je raconte. C'est un peu «idiot» comme description mais c'est ce qui peut arriver parfois, dans l'hypothèse haute. Il y a des personnages que je dois tracter jusqu'au bout du livre. J'espère simplement que ce n'est pas un personnage principal. Un personnage, comme un être humain, n'est pas prévisible, peut être contradictoire. Il peut être brillant à des moments et pitoyable à d'autres. Pouvoir maintenant faire des livres avec une pagination un peu libre est déterminant. On n'est pas esclave d'un format imposé. La pagination est une liberté importante que nous, auteurs, on a acquis avec le temps.



4- Vous publiez des albums de bande dessinée depuis 21 ans. On peut citer Les amis de Satial, Quelques jours avec un menteur, Rural, Les mauvaises gens, Chute de vélo, Un homme est mort, Lulu femme nue, Les Ignorants... Ce dernier, plus encore que les autres, a connu un succès immense. Vous avez été énormément sollicité (festivals, rencontres, entretiens...). A cela s'ajoute l'adaptation au cinéma de Lulu femme nue, prévue pour le 22 Janvier 2014 et réalisée par Solveig Anspach. Malgré tout vous revoilà avec un nouvel album et de nouveaux projets (Cher pays de notre enfance). Pouvez-vous nous raconter un peu cette aventure de l'après Ignorants, nous dire quelle est votre implication dans ce film adapté de votre travail, et nous parler un peu de ces projets à venir ?
Il est vrai que le livre nous a entraîné dans une espèce de spirale qu'on n'avait pas du tout anticipée. Je dis «on», ça implique l'éditeur, l'auteur mais aussi Richard Leroy qui s'est prêté au jeu avec une certaine souplesse, même s'il n'était pas du tout tenu de le faire. Simplement, ça l'intéressait de voir ce qui allait se passer. Pour lui, la suite du livre était aussi une partie de l'expérience. L'initiation au vin et à la bande dessinée, c'est le sujet du livre. Le livre publié, l'aventure continue en quelque sorte. La vie du livre a été évidemment au-delà de nos espérances les plus insensées : le livre a beaucoup marché, a eu beaucoup de presse... Nous avons eu beaucoup d'invitations. On en a toujours que l'on refuse maintenant presque systématiquement car on ne peut pas faire que ça, même si c'était formidable. Il y a un moment où la promo peut devenir quelque chose d'absurde. On se retrouve dans le rôle de quelqu'un qui répète pour la vingt-septième fois la même chose . On se retrouve dans une sorte de composition, dans un personnage qui s'éloigne de la vérité première des choses. Une sorte d'acteur qui répète un texte. Et donc à ce moment là, moi, j'arrête. Si je ne parle plus vraiment aux gens et que je sens que je répète une anecdote parce que je sais qu'on va me la demander, je préfère arrêter. J'ai l'impression de ne plus être à ma place. Cela peut engendrer des frustrations, je le comprends. Il y a beaucoup de vos collègues qui nous invitent et à qui on dit « non » parce que on ne veut pas tomber là dedans. Et puis on n'a pas que ça à faire. Notre métier, c'est plus de faire des livres que d'en parler. Mais en tout cas, indépendamment de cela, ça a été un beau cadeau. Une aventure pareille sur un livre, cela ne se reproduira peut-être pas. J'aurai connu cela une fois dans ma vie et c'est formidable. Il y a eu un vrai retour des gens qui ont lu le livre, et c'est très gratifiant pour moi. Je ne peux parler à sa place, mais je crois que pour Richard, le fait que son travail de vigneron soit découvert et apprécié comme cela est assez gratifiant. Même s'il a été plus embêté que moi par le succès puisqu'il a été beaucoup sollicité pour vendre son vin à des lecteurs. Il a une éthique absolument intransigeante de laquelle il n'a pas dévié d'un centimètre. « Si on vient à mon vin par autre chose que mon vin, il n'est pas question que j'en vende ». Il n'a pas voulu vendre une seule bouteille de son vin sous prétexte qu'on avait lu le livre avant. Du coup, les gens se heurtaient à un mur. Et il s'y tient encore aujourd'hui. Souvent on nous demandait « ça serait bien de faire une dégustation dans une librairie ». Hors de question. « Mais ça pourrait l'aider, lui faire de la promo... » Hors de question. Il n'a jamais voulu. C'est un garçon extrêmement cohérent et qui a une vraie réflexion sur son projet de vigneron. Une vision très large. Faire du vin, c'est beaucoup plus de choses que de produire une denrée agricole. On est très loin de ça.

La promo des ignorants ne m'a pas empêché de réaliser Le chien qui louche. Il y a un moment où j'ai simplement eu envie de revenir dans mon atelier et de faire de la bande dessinée. C'est un peu mon activité fondamentale de faire des pages de bandes dessinées. On s'est pas laissé envahir par tout cela parce que tout simplement, à un moment, Richard a du vin à faire et moi des livres à faire. Cela fait des journées un peu pleines, mais il n'y a pas eu de problèmes d'agenda.

L'aventure du film Lulu femme nue (en salle le 22 Janvier 2014) a démarré il y a très longtemps, un peu plus de trois ans. Solveig Anspach, la réalisatrice, et Caroline Roussel, la productrice, m'ont contacté. C'est un vrai parcours du combattant. Il faut pour mener un projet dans le monde du cinéma une ténacité et une persévérance qui force l'admiration, surtout pour résister aux coups du sort. A partir du moment où le projet me convenait, j'ai fait ce que j'ai pu pour les aider, mais c'est peu de choses car je ne suis pas du tout du sérail. En tout cas, j'ai été très attentif à ce qu'ils en ont fait. Je suis allé sur le tournage. J'ai même tenu un rôle de figuration. Le film est prêt. On fait quelques avant-premières. Solveig porte le film à bout de bras. Il va bientôt sortir et c'est un film assez différent du livre malgré tout, de mon récit à moi. Mais même si la Lulu du film est assez différente de la Lulu de la bande dessinée, ce sont deux femmes qui portent les mêmes valeurs et qui pourraient être des amies. C'est un expérience intéressante pour moi aussi à ce niveau là.

Quant à mon nouveau projet, Cher pays de notre enfance est le titre retenu pour l'instant mais je me garde encore le droit de le changer. C'est un projet que je ne vais pas mener seul, mais avec Benoît Collombat, reporter à France Inter et notamment auteur d'un livre qui fait maintenant référence sur l'affaire Boulin (le suicide présumé du ministre Robert Boulin à la fin des années 70). Avec lui, on part faire une sorte d'enquête dans le passé de la Cinquième République (en gros les années 70), à l'époque où les juges mourraient sous les balles, les ministres se « suicidaient », ces années un peu sanglantes de la Cinquième République qui sont un sujet sur lequel il travaille depuis longtemps. J'ai le sentiment qu'il y a des choses étonnantes à raconter sur ce sujet là. On a déjà commencé à rencontrer pas mal de témoins, de gens qui nous racontent ce qu'ils ont vus, ce à quoi ils ont assisté à l'époque. On fait une sorte d'enquête dessinée. C'est un livre qui paraîtra chez Futuropolis fin 2015 et dont les premiers chapitres, en tout cas une partie du livre, seront publiés dans La Revue Dessinée fin 2014. C'est d'ailleurs les gens de la Revue Dessinée qui sont à l'origine de notre rencontre. Ils nous ont proposé de nous rencontrer. Je connaissais le travail de Benoît Collombat sur France Inter et lui avait lu mes livres. On s'est rapidement entendu. Et les choses qu'il m'a racontées m'ont rapidement donné envie d'en faire un livre.
Nous avons simplement un plan des éléments dont on veut parler, une liste de témoins que l'on va rencontrer, ou qu'on rencontre déjà, les lieux où se sont passés les événements, et de tout cela nous allons faire des récits en bande dessinée. C'est une nouvelle aventure pour moi puisque je bosse avec quelqu'un qui ne vient pas de la bande dessiné. On dit parfois que je fais un travail de journaliste, mais ce qui n'est pas le cas. Là, on va mettre en friction nos deux métiers. Ce qui m'intéresse moi dans le mode bande dessinée du réel – documentaire, c'est de ne pas répéter, de ne pas m'enliser à faire du Davodeau. Après Rural !, Les Mauvaises Gens ou les Ignorants, j'ai toujours besoin de trouver une autre façon de construire un récit. Je vais bosser avec un journaliste parce que moi je ne bosse pas comme un journaliste. J'essaie de me trouver des difficultés supplémentaires à gérer, en espérant sortir par le haut, en trouvant d'autres modes narratifs que la situation va m'imposer. J'aime cette idée de me mettre dans la situation où je n'ai pas les clés et je vais devoir les trouver.

5- J'ai pu lire avec joie sur votre page Facebook que vous conseillez la lecture du remarquable L'Entrevue de Manuele Fiore (éditions Futuropolis) ou que vous évoquiez le très touchant Dans l'atelier de Fournier par Nicoby et Joub (éditions Dupuis). Je suis parfois tombé sur des photographies de vous dans ce que j'imagine être votre atelier, et on y découvrait en arrière-plan une bibliothèque emplie de bandes dessinées (de vieilles éditions de Spirou à From Hell pour ce que j'arrivais à en apercevoir). Pouvez-vous nous raconter quels furent les auteurs importants dans l'apprentissage du jeune Etienne Davodeau, et quels sont les auteurs qui vous fascinent aujourd'hui?

J'ai grandi dans un endroit où le livre était peu présent, et la bande dessinée encore moins. J'ai développé mon goût pour la bande dessinée vraiment en solitaire. Je n'avais pas de copains dans mon entourage qui avait le même intérêt que moi pour la bande dessinée. Et ce jusqu'à tard, 16 ou 17 ans. Les livres que j'avais môme étaient des choses importantes pour moi. J'ai beaucoup relu les mêmes livres tout simplement parce que j'en avais peu. Comme beaucoup de gens, j'ai été biberonné à la bande dessinée franco-belge classique. Et puis, progressivement, de nouveaux livres m'ont ouvert à d'autres choses. Notamment, par exemple, les livres de Cosey que j'ai découvert à 16 ans. C'était pour moi, à la fin des années 80, découvrir une bande dessinée qui soit autre chose que de l'humour, du gros nez ou de l'aventure à la Blueberry. C'était découvrir une bande dessinée avec des silences, avec des planches très ouvertes, avec des personnages ambigus. Pour moi, à seize ans, des gens comme Cosey ou Crespin ont été importants. Cela m'a donné une sorte d'appel d'air.
Après, plus on pratique la bande dessinée, plus il devient difficile de rester un lecteur qui soit apte à lire tranquillement un album de bande dessinée. Quand j'ouvre un album de bande dessinée, j'ai beaucoup de mal à rentrer dans l'histoire car sur un plan technique, je vois ce qui me plaît ou déplaît, un dialogue dont j'aurai voulu avoir l'idée ou qui me gêne... Il y a un écran technique qui fait que l'on ne peut plus accéder à l'histoire. Chose qui ne m'arrive pas au cinéma. J'en lis quand même pour savoir ce qui se passe, j'en lis tout de même beaucoup. Mais un livre de bande dessinée qui vraiment m'emballe en tant que lecteur, j'en rencontre un par an. On est dedans en permanence. On perd cette capacité à lire de la bande dessinée parce qu'on en fait trop. C'est dommage d'ailleurs. C'est un regret. Il y a des livres bien sûr auxquels je reste fidèle, parce qu'ils ont été important pour moi. Puis de temps en temps, je tombe sur un ouvrage, l'Entrevue de Manuele Fiore par exemple. Là, je viens de lire La propriété de Rutu Modan, j'ai trouvé ça pas mal. Moins bien qu'Exit Wound qui était vraiment bien, mais c'est quand même pas mal!



Nous tenons à remercier Etienne Davodeau, qui a non seulement répondu favorablement à notre demande d'entretien, s'est révélé passionnant dans ses propos mais qui plus est s'est montré d'une disponibilité, d'une attention et d'une gentillesse rare.

Commentaires