Soil de Kaneko Atsushi, éditions Ankama. Ou pourquoi je pense que Soil mérite le Prix du polar à Angoulême 2012.






Soil de Kaneko Atsushi, éditions Ankama.
Ou pourquoi je pense que Soil mérite le Prix du polar à Angoulême en 2012.

Précisons d'abord que j'hésite entre Soil et O dingos, ô châteaux de Jacques Tardi, éditions Futuropolis. Non seulement Jacques Tardi est pour moi le plus grand auteur en activité -sur l'ensemble de sa carrière, et j'y reviendrai- mais en plus son dernier opus fait partie des sommets de son oeuvre. Mais Jacques Tardi a déjà obtenu le grand prix d'Angoulême en 1985. 27 ans après ce prix, Tardi continue à mériter des prix du meilleur album ou du meilleur polar... fait qui n'est pas si fréquent.

Cependant un prix doit aussi servir à mettre en avant un auteur ou une oeuvre qui surprend et apparaît dans la multitude des sorties comme un nouvel élan ou un ovni sans succession possible. SOIL de Atsushi Kaneko est ce genre d'oeuvre, inclassable et motivante.

L'histoire est extrêmement difficile à résumer -comme beaucoup de mangas cependant- tant elle emprunte une construction labyrinthique : ouvertures, fausses pistes, retours en arrière, découvertes, issues... sont le vocabulaire de Soil.

Soil, en anglais le sol, c'est le nom d'une ville nouvelle du Japon, ville sans passé donc, qui s'est construite sur une terre qui, elle, possède son histoire. L'auteur précise dans la postface «  Une ville nouvelle est une ville-dortoir artificiellement construite dans le but de créer de nouveaux centres et d'éviter la surpopulation des centre-villes ».

Le point de départ, c'est l'arrivée dans cette ville de deux policiers ( Yokoi et Onoda ) chargés d'enquêter sur la disparition d'une famille en son entier. Dans la chambre de la fille disparue apparaît une sorte de monolithe de sel, seul témoignage de l'étrangeté de ce qui s'est produit ici.

Dans un premier temps, l'ambiance fait un peu penser à la ville dortoir de Edward aux mains d'argent de Tim Burton : chaque habitant tient à donner une image de la ville parfaite, aidé en cela par un délégué qui veille à la bonne marche de l'ensemble (par exemple, veiller à ce que les fleurs ne soient jamais fanées aux devantures des maisons). Très vite, on comprend que toute cette perfection n'est qu'illusoire : trop de sourires, trop de photos figées, trop de phrases non spontanées.

Ce que les deux policiers comprennent très vite, c'est que les habitants de Soil cachent un lourd secret dont la disparition de la famille en est la clé. A la périphérie de la ville, on découvre que la ville possède ses rejets. En effet, la ville est cernée de terrains vagues et de bâtiments non achevés -tel un hôpital- marque de l' éclatement de la bulle financière qui a stoppé net Soil dans son évolution. Or, on comprend très vite que cette non perfection « rejetée » à l'extérieur de la ville peut également expliquer la disparition de cette famille.

Cette fissure dans l'idéalisme affiché de Soil et de ses habitants va progressivement se répandre, et amener la ville à se dérégler et à afficher ses imperfections.

Autant le dire tout de suite, et sans révéler les événements, Atsushi Kaneko va très loin dans les secrets enfouis, et la lecture de cette série est autant fascinante qu'éprouvante parfois.

Une des clés de la série nous est donnée dès le début lorsque les deux policiers discutent :
« (Yokoi) : - On n'est pas obligés de tout expliquer non plus ! Nous, si on arrête le criminel, on a fait notre travail, non?!!!Le reste ça sort de notre juridiction !
(Onoda) : - Oui, mais... en tant que policier... une affaire n'est close que lorsqu'on a tout compris... »

Ainsi, le pragmatisme de la jeune Onoda va être mis à rude épreuve tout au long de ce récit qui va progressivement glisser vers un fantastique à la David Lynch, sans jamais couper la possibilité d'un traumatisme réel créé par la ville de Soil.

Le récit est accompagné par le graphisme époustouflant de Kaneko. Il parvient à la fois à rendre palpable l'effroi de certaines scènes tout en procédant à un découpage et un graphisme d'une précision telle qu'ils semblent correspondre au quadrillage de l'architecture de la ville même.

C'est cette perfection des personnages, du récit et du dessin que l'auteur s'amuse à pervertir en y incorporant de l'intrusif et du parasitage.

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